Un Président emmerdant, des candidats emmerdés
Alors que l’année s’était ouverte sur une polémique concernant le drapeau européen suspendu à l’Arc de Triomphe, cette semaine, ce sont les propos du Président de la République qui ont agité la toile.
Le coup de maître d’Emmanuel Macron : l’installation d’un nouveau clivage
Les commentateurs, journalistes oppositions et autres figures politico-médiatiques ont d’abord dénoncé une grossière erreur de communication. Mais la sortie d’Emmanuel Macron cette semaine dans le Parisien, dans lequel il s’est déclaré déterminé à “emmerder les non vaccinés” est loin d’être une bourde.
"Les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder"
(Remise en contexte)
Isabelle Berrier : Mais tous ces gens-là, qui ne sont pas vaccinés, sont ceux qui occupent à 85% les réanimations... Et par contre, il y a des gens qui sont atteints de cancer dont on reporte les opérations, à qui on ne donne pas l'accès aux soins et qui sont vaccinés!
Emmanuel Macron : Ce que vous venez de dire, c'est le meilleur argument. En démocratie, le pire ennemi, c'est le mensonge et la bêtise. Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l'accès aux activités de la vie sociale. D'ailleurs, la quasi totalité des gens, plus de 90% y ont adhéré. C'est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l'emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l'administration quand elle les bloque. Eh bien là, les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer à le faire, jusqu'au bout. C'est ça, la stratégie. Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné..."
C’est la forme d’abord qui a fait polémique. Largement dénoncée par les oppositions, beaucoup ont souhaité accoler à cette phrase le titre des journalistes Davet et Lhomme qui avait entre autres coûté sa réélection à François Hollande : Un Président ne devrait pas dire ça. (2016). La forme est bien entendu, des plus surprenantes pour un Président de la République. D’autant plus pour Emmanuel Macron qui s’est toujours revendiqué d’un language soutenu. Mais cette phrase n’a une fois de plus rien d’une erreur. Glissée dans un long entretien avec les lecteurs du Parisien, elle a été relue et validée par l’Elysée, conforme donc, aux intentions du Président de la République.
Sur le fond pourtant, la formule n’a rien de détonnant : le Président ne fait que reformuler la politique sanitaire de son Gouvernement : faire peser au maximum les contraintes sur les non-vaccinés. C’est dans cette optique que le Passe Sanitaire, instauré au printemps 2021 évoluera en ce début d’année 2022 en passe vaccinal, après qu’il ait été adopté par le Parlement.
Mais le coup de maitre d’Emmanuel Macron réside dans la portée politique de sa formule, qui piège ses futurs opposants et tourne la situation à son avantage. Sans cesse attaqué sur sa gestion de la crise sanitaire, Emmanuel Macron prend à leur propre piège les autres candidats à la présidentielle. En déclarant voulant “emmerder” les non-vaccinés, il se place dans le camp de la raison : les vaccinés, qui représentent 90% des français. Mais plus malin que ça encore, la formule est en fait une question adressée à ses adversaires : sont-ils pour ou contre le Passe vaccinal ? Pour le vaccin ?
A droite, officiellement, Valérie Pécresse est pour, mais parmi les députés LR, la mesure fait débat. Macron crée donc le désordre parmi les troupes soit-disant unies autour de la candidate victorieuse du Congrès de décembre.
A gauche, le sujet est trop sensible pour amener les candidats à prendre fermement position. Tous y perdraient une partie de leur électorat, alors leurs déclarations sont ambigües.
En somme, Macron impose à tous les candidats un dilemme : soutenir le Passe vaccinal, les contraintes sur les vaccinés et donc rejoindre le camp de la raison qui n’est autre que le sien, et donc apparaitre faible sur un plan politique, pas vraiment différent finalement, de la politique présidentielle. Ou alors, assumer ne pas vouloir “emmerder” les non-vaccinés, mais se placer à la marge, parmi les 10% de non-vaccinés, et passer pour des irresponsables. Les oppositions sont donc prises en étau, incapables de trancher sur une position déterminée. Macron, grand absent du jeu politique de cette pré-campagne, s’impose dans l’arène sans même à avoir y descendre.
Dans cette interview, le Président de la République a aussi fait savoir son intention d’être candidat au renouvellement de son mandat sans “faux-suspense” comme il l’a lui-même dit. Mais là n’était pas, bien-sûr, l’intérêt de cette interview.
Par ce tour de fasse-passe, Emmanuel Macron clive, encore, à son avantage. La campagne semble prendre un nouveau tournant.
C’est la zizanie à droite, qui donne même un coup de pouce à Eric Zemmour
Mais qui dirige vraiment la droite ? Valérie Pécresse : candidate désignée par le par le pari ? Eric Ciotti : surprise du Congrès LR de Décembre ? Christian Jacob : chef du parti ? Alors que le Gouvernement avait entrepris de faire adopter cette semaine le texte de loi entérinant la mise en place du Passe vaccinal, aucun des ténors des Républicains n’est parvenu à imposer sa ligne parmi les députés LR, qui ont voté de façon désordonnée le texte lors des séances.
Officiellement, Valérie Pécresse y est favorable, mais certains députés de son camp s’y opposent, dont notamment son porte-parole de campagne : Aurélien Pradié. Interrogée par les journalistes, la présidente de la région Ile-de-France a sorti les rames pour tenter d’esquisser une réponse unique sur la question, l’objectif étant bien-sûr, de ne laisser entendre aucune division interne.
Dans le même temps, comme le rapportait cette semaine le journal Le Monde, Eric Zemmour semble traverser une période compliquée. Après avoir chuté à 12% d’intentions de vote dans les sondages (annoncé à 18% en novembre) : le polémiste d’extrême-droite semble maintenant faire face à un nouveau problème : celui des parrainages. Depuis décembre et l’annonce de sa candidature, ces derniers stagnent aux alentours des 300, sur les 500 requis pour pouvoir présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Alors le candidat multiplie les tournées locales, les rencontres avec les élus, pour tenter de récupérer leur soutien. Mais ces derniers justifient leur réticence par les menaces reçues des patrons de collectivités locales s’ils soutenaient l’extrême droite. L'annonce, ce dimanche, de Guillaume Pelletier, l'ex numéro-deux des Républicains, devrait permettre au candidat de récupérer de nouveaux parrainages.
S’il ne parvenait pas à réunir suffisamment de parrainages, le polémiste ne pourrait donc pas se présenter au scrutin. Outre le candidat lui-même et ses soutiens, d’autres personnalités angoissent à l’idée d’une telle perspective. Parmi elles, Valérie Pécresse. Pour espérer réaliser un bon score au premier tour, Valérie Pécresse a besoin d’une extrême droite divisée, ou du moins d’un élément perturbateur de la candidature de Marine Le Pen. En interne, chez LR, certains maires auraient donc reçu la consigne de parrainer le polémiste au nom de la tenue d’un débat démocratique. La direction du parti dément.
En 2022, la gauche encore plus désunie ?
En 2021, la gauche avait déjà affirmé ses différences avec force, notamment en refusant toute idée de candidature commune après la proposition surprise d’Anne Hidalgo, courant décembre, de tenir une Primaire de la gauche.
En 2022, la gauche sera probablement plus divisée encore. Christiane Taubira, qui s’était laissé un mois de plus pour réfléchir à une éventuelle candidature, devrait officiellement annoncer sa candidature dans les prochains jours. Elle a annoncé qu'elle officialiserai définitivement celle-ci si elle remportait la Primaire Populaire organisée fin janvier par des militants de gauche. Sa campagne, encore hypothétique, fait pourtant déjà face à de nombreux obstacles. Le teasing de sa candidature en fin d’année dernière n’a pas produit l’effet escompté et le coût de la participation à un tel scrutin sans structure partisane semble inabordable pour la candidate.
Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, refusent quant à eux toujours l’idée d’une candidature commune.
Cette nouvelle semaine de campagne s’achève avec un spectre politique encore plus fracturé et des débats ramenés autour de la question sanitaire, alors que le variant Omicron se propage de façon massive en France. La semaine prochaine sera notamment l’occasion de constater quels seront les effets, pour le désormais encore presque plus candidat Macron de sa phrase sur les non-vaccinés et sa récente prise de la présidence du Conseil de l’Union Européenne.
L’image de la semaine
Eric Zemmour, bronzé après ses deux semaines de vacances aux Antilles, dans des hôtels à plus de 1000€ la nuit. Le candidat du peuple on vous a dit.