La gauche tangue au moment où elle devrait triompher
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Cela fait désormais bientôt 3 mois, depuis début janvier, que la réforme des retraites est au coeur de tous les débats, sur tous les plateaux télévisés. Ce projet, clivant, et son issue qui n’en finit pas d’arriver ont saturé l’espace médiatique au point de rendre quasi-inexistant tout autre sujet de nature politique.
Pourtant, en parallèle de la réforme des retraites et des ses conséquences, nombreux ont été les faits politiques ces dernières semaines.
La gauche a raté le coche sur plusieurs sujets, alors que la réforme des retraites lui avait donné une formidable raison d’exister
Ces dernières semaines, la réforme des retraites avait enfin servi à la gauche le débat dont elle avait besoin pour se réunir. Un débat sur le travail, les droits sociaux : la retraite. Bref c’était le thème que la gauche attendait depuis des années pour se refaire une santé tout en tapant gratuitement sur le dos du Gouvernement. Pourtant, ces dernières semaines, la NUPES, présentée comme l’union de la gauche, n’a cessé de se fragmenter.
Des stratégies contraires dans l’opposition au texte qui lui ont couté cher
D’abord, sur le texte de la réforme des retraites en lui-même, les stratégies des groupes membres de la NUPES ont été très différentes. Oui, certes, tous ont choisi de s’opposer, mais différemment.
Sur le fond d’abord, les stratégies ont été opposées.
La France Insoumise a clairement fait le pari de l’obstruction parlementaire, en déposant plus de 13 000 amendements. A l’origine, les communistes, socialistes et écologistes, qui avaient respectivement déposé entre 1000 et 2000 amendements par groupe comptaient eux-aussi perturber le débat en le bloquant. Mais au fil des jours de l’examen du texte, il se sont résolus à retirer plusieurs centaines de leurs amendements afin de procéder à un minimum de discussions intelligentes sur le texte. En coulisses, les groupes socialistes, communistes et écologistes ont poussé les Insoumis à faire de même, mais les proches de Jean-Luc MELENCHON sont restés inflexibles. L’obstruction avant tout.
Sur la forme aussi, la NUPES était divisée…
De ces débats, on retiendra évidemment la stratégie bruyante des députés la France Insoumise, qui ont, à moult reprises, choisi la polémique pour faire parler des retraites. On ne refera pas ici les scènes multiples de ces dernières semaines, mais l’histoire du ballon avec la tête d’Olivier DUSSOPT, les insultes d’assassin, et les pancartes sorties en plein hémicycle ont divisé au sein de l’intergroupe.
Alors que l’alteraction de la part d’un député insoumis à l’encontre d’Olivier DUSSOPT faisait débat à l’Assemblée nationale, le ministre ayant été traité “d’assassin”, le Président du Groupe Communiste, André CHASSAIGNE, a pris la parole pour dénoncer les propos tenus par son collègue, affichant clairement ses distances avec La France Insoumise.
Une NUPES marginalisée par les syndicats qui ont refusé de faire front uni avec les partis
Cette attitude a coûté cher à la NUPES. Elle l’a payée cher dans la rue. Officiellement, les partis de gauche ont toujours pris part aux mobilisations contre la réforme des retraites. Tous y avaient leur cortège. Mais les syndicats ont soigneusement pris soin de les tenir à distance de la tête de cortège, de les marginaliser.
Durant aucune des grandes manifestations parisiennes, les représentants de la NUPES n’ont été autorisés à faire front commun avec les syndicats.
Sur le fond, cette distance installée par les syndicats est lourde de sens. Elle est une véritable claque à la figure d’une classe politique qui avait longtemps laissé croire que les forces syndicales étaient finies et qu’elles seules semblaient incarner le rôle de représentant du “peuple”.
Par cette distance, maline, les syndicats ont montré qu’une “autre gauche” était possible : loin des polémiques, du buzz, des sujets de niche de la NUPES, du wokisme, … . La mobilisation qui s’est agrégée autour des journées d’action a signifié, au-delà de l’opposition à la réforme des retraites, que la gauche peut rassembler, lorsqu’elle est cohérente et honnête avec sa ligne de toujours : le travail, le social. Aussi, elle démontre que le travail, quoi qu’en disent les débats de plateaux télé et leurs commentateurs abonnés, est belle et bien une valeur de gauche cardinale.
Mais, outre la réforme des retraites, plusieurs autres sujets semblent faire dissensus au sein de la gauche.
D’abord, il y a toujours la présence visiblement très dérangeante de Jean-Luc MELENCHON. L’ex leader de la France Insoumise, qui a fait le choix de ne pas briguer un nouveau mandat de député en 2022, et qui s’est retiré de la direction du parti, semble pourtant toujours dans les parages. A chaque échéance, il rôde autour des siens pour influencer le débat. Officiellement, il se tient loin de tout, préfère défiler à Marseille quand toutes les figures politiques sont réunies à Paris, mais en coulisses, la présence de Jean-Luc MELENCHON est comme permanente. Lorsque les débats s’envenimaient à l’Assemblée, celui qui n’est désormais plus élu, ni chef interrogeait les communistes via un Tweet :
Incompréhesible retrait des amendements du PCF. Pourquoi se précipiter à l'article 7 ? Le reste de la loi ne compte pas ? Hâte de se faire battre ?
Alors que le Gouvernement faisait face au vote de la motion de censure, Jean-Luc MELENCHON surplombait l’hémicycle de l’Assemblée, en assistant aux débats depuis les tribunes. Bref, l’ancien chef la France Insoumise, qui n’avait pas brigué de nouveau mandat pour se détacher de la politique semble plus présent que jamais, sans pour autant posséder de véritable légitimité électorale. Au sein de la France Insoumise, les poids lourds s’en accommodent, mais parmi les partenaires de la NUPES, ces petits commentaires font grincer des dents.
Que faire de la Candidature dissidente en Ariège ?
Autre sujet du moment très tendu à gauche : le résultat de l’élection législative partielle en Ariège du 2 avril. C’est la dissidente socialiste Martine FORGER qui l’a finalement emporté à l’issue du second tour qui l’a opposé à Bénédicte TAURINE, députée insoumise, soutenue par la NUPES.
A l’issue de cette drôle d’élection, les réactions ont été vives. Où laisser siéger cette nouvelle députée, élue contre la candidate de la NUPES ? Si les socialistes, portés par des voix dissidentes de celles du Premier Secrétaire Olivier FAURE se sont dit ouverts à ce qu’elle intègre leur groupe, la NUPES semble moins sûre de lui accorder ce droit. Elle pourrait finalement choisir de siéger parmi les députés LIOT, classés comme indépendants : un comble tout de même, pour cette candidate socialiste, certes dissidente, élue après une campagne de gauche et soutenue par plusieurs ténors du Parti Socialiste comme Carole DELGA et Nicolas MEYER-ROSSIGNOL, le numéro 2 du parti.
Quel sens pour la NUPES ? Statu-quo ou acte II ?
Alors que la séquence de la réforme des retraites est sur le point de toucher à sa fin, plusieurs membres de la coalition de gauche semblent pousser vers le développement d’un acte II de la NUPES, comme Sandrine ROUSSEAU et Manuel BOMPARD.
A l’intérieur de la NUPES, le manque de coordination dans cette séquence pousse de nombreux membres de la coalition à essayer d’approfondir leur alliance pour permettre plus de concertation, la mise en place de structures propices à des travaux parlementaires collectifs et la construction d’une opposition durablement unie. Les partisans de ce projet regrettent notamment le manque d’uniformité dans la réaction aux textes. Les initiatives seraient encore trop centrées autour des groupes, et trop peu autour de l’inter-groupe.
Une volonté d’acte II pas forcément partagée par tout le monde
Alors certes, après l’alliance purement électorale de juin 2022, la NUPES a besoin d’aller plus loin pour s’inscrire durablement dans le paysage politique français. Mais cette volonté d’approfondissement n’est pas forcément partagée par tout le monde.
Les communistes d’abord, se sont toujours montrés plus réticents. Car le parti de gauche français, qui a historiquement occupé une place politique importante en France, est bien content de s’être refait une santé à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022. En ce sens, se diluer dans la NUPES ne lui rapporterait pas grand chose, si ce n’est le fait de se faire oublier … Alors que le PCF tenait son congrès annuel ce weekend à Marseille, Fabien ROUSSEL a d’ailleurs très clairement fait comprendre à la France Insoumise que la vie du Parti Communiste ne relevait pas vraiment de leurs affaires.
Mais les communistes ne sont pas les seuls. Les socialistes aussi rechignent à s’investir dans la NUPES.
En réalité, la situation est plus complexe que ça.
D’un côté, oui, le Premier Secrétaire actuel, Olivier FAURE, réélu récemment à l’issue d’une élection contestée en interne, est lui très favorable à cet approfondissement. Sa position est logique, après que ce dernier ait été l’un des fondateurs de la NUPES.
Mais en interne, plusieurs ténors du PS freinent des 4 fers pour ne pas aller plus loin dans la NUPES, voire poussent-même pour en sortir, jugeant que cette alliance ne conduira qu’à l’étouffement d’un parti déjà à l’agonie. Bernard CAZENEUVE, Carole DELGA, Nicolas MEYER-ROSSIGNOL ou encore Patrick KANNER se disent fermement opposés à ce que ce projet aille plus loin.
Mais ces tensions, bien que très vives, ne risquent pas de trouver d’issue dans l’immédiat.
En réalité, c’est sûrement la décision d’un autre groupe qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre : les écologistes. Les verts, qui avaient été très enthousiastes aux débuts de la NUPES, notamment sous le leadership de Julien BAYOU, semblent partagés à l’idée d’un approfondissement de la NUPES. Et pour cause, la nouvelle cheffe de file du parti, Marine TONDELIER, s’est dite fermement opposée à la constitution d’une liste NUPES commune pour les élections européennes du printemps 2024. La cheffe des écologistes compte bien présenter une liste écologiste l’année prochaine. Ce projet, qui doit se préciser dans les prochains mois, permettra surement d’y voir plus clair sur l’avenir de cette alliance à gauche.
Les évènements de cette semaine, alors que tombera la décision tant attendue du Conseil Constitutionnel sur la réforme des retraites, seront fondamentaux pour la gauche. Pour la NUPES, ce serait une victoire si le texte était largement censuré. En revanche, si le texte était approuvé, elle serait au défi de continuer à motiver ses troupes, malgré le revers essuyé.