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Alors que les syndicats organisaient cette semaine une nouvelle journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites, le Gouvernement avait les yeux rivés sur la mobilisation, guettant les premiers signes qui pourraient annoncer un essoufflement.
Ce moment, que le Gouvernement semble attendre comme la pluie tarde à se produire. Les manifestants eux, remontés contre le projet de réforme des retraites, certes, mais de plus en plus contre le mode de gouvernance du pays, semblent s’accrocher à la décision du Conseil Constitutionnel.
En attendant la destination du Conseil Constitutionnel, le Gouvernement temporise
C’est le nouvel horizon sur lequel sont rivés tous les regards : aussi bien parmi les manifestants et les partis d’opposition que ceux du Gouvernement.
Le Conseil Constitutionnel a annoncé cette semaine qu’il rendrait publique sa décision sur le texte du projet de réforme des retraites le 14 Avril. Le Conseil des sages doit se prononcer sur la légalité du texte, après qu’il ait été saisi par la Première Ministre et les groupes parlementaires de l’opposition.
Officiellement, le Gouvernement mise sur une approbation quasi totale de la légalité du texte. Elisabeth BORNE a d’ailleurs saisi le Conseil Constitutionnel d’elle-même pour montrer que le texte qu’elle présente est bel et bien légal, donc légitime.
Les oppositions politiques, et en particulier la NUPES, espèrent bien faire “tomber” le texte sur sa légalité. La gauche attaque notamment le Gouvernement sur la procédure utilisée : à savoir le PLFRSS, qui permet uniquement de faire adopter des dispositions budgétaires, et seulement budgétaires. En ce sens, plusieurs éléments du texte pourraient être considérés comme des “cavaliers législatifs” : c’est-à-dire comme n’ayant pas leur place dans ce type de projet de loi.
Cette institution, composée de 12 membres, anciens ministres et spécialistes de la Constitution, joue donc un rôle essentiel dans le processus actuel, car c’est sa décision qui donnera définitivement un go au Gouvernement ou amendera le processus en retoquant tout ou partie du texte.
Le problème, c’est que le Conseil Constitutionnel n’aime pas prendre ses décisions à la va-vite. Alors, ses conclusions ne seront annoncées que le 14 avril. Du coup, en attendant, le Gouvernement temporise.
Elisabeth BORNE temporise en consultant : officiellement pour faire évoluer sa méthode
D’abord, du côté de la Première Ministre, pour conserver sa place, il faut se montrer loyale et soucieuse d’aller de l’avant. Alors depuis l’allocution du Président de la République, l’appelant à “élargir la majorité”, et à réfléchir à une “nouvelle méthode”, les services de la Première Ministre en font des tonnes.
Lundi dernier, Elisabeth BORNE donnait une interview fleuve à l’AFP, indiquant qu’elle construirait, dans les 3 prochaines semaines, un agenda politique repensé, une majorité élargie et une méthode nouvelle qui permettrait au Gouvernement d’avancer. Aussi, elle s’est dite soucieuse de tendre vers l’apaisement avec les syndicats.
Dans cette même interview, comme pour donner ces gages de ce changement de méthode appelé des voeux du Président de la République, Elisabeth BORNE s’est engagée à ne plus recourir à l’article 49-3 en dehors des textes budgétaires. Ainsi, la Première Ministre annonce qu’elle se passera de cet outil de passage en force et que le compromis constituera sa matrice principale.
Ce qu’Elisabeth BORNE oublie néanmoins de préciser, c’est que le texte de la réforme des retraites est par exemple un texte budgétaire. Changement de méthode … à demi mot donc.
Surtout, Elisabeth BORNE rencontrera tout au long des deux prochaines semaines la plupart des forces politiques et groupes parlementaires du pays afin d’échanger autour de leur préoccupations et de réfléchir ensemble à un nouvel agenda de discussions commun. Pour l’heure, tous les groupes parlementaires ont confirmé leur venue, à l’exception des groupes membres de la NUPES, qui ont d’ores et déjà indiqué qu’ils ne s’y rendraient pas.
Aussi, et ça sera la première fois depuis le début du conflit social, la Première Ministre recevra à Matignon les syndicats afin de discuter de tout, sauf de la réforme des retraites. En outre : le Gouvernement s’est notamment engagé à discuter des carrières longues, des emplois des séniors, de la pénibilité du travail : bref tout un ensemble de sujets sociaux liés au travail …
L’intersyndicale toute entière a été conviée, mais problème… la plupart veulent venir, mais tous ne partiront pas pas sans avoir parlé retraites. Pour Laurent BERGER, le leader de la CFDT, pas question d’engager des discussions sur autre chose tant que les retraites ne seront pas à nouveau mises sur la table.
Dans les deux prochaines semaines, Elisabeth BORNE va donc consulter, travailler, amender sa méthode et chercher à montrer que cet épisode a profondément remis en question sa façon de fonctionner.
En jouant la carte de la consultation, des rencontres et d’une démarche somme toute pro-apaisement, la Première Ministre cherche à remplir deux objectifs.
- A temporiser d’abord : en attendant la décision du Conseil Constitutionnel, il faut bien montrer un Gouvernement actif : alors Elisabeth BORNE temporise. Elle met en scène la préparation de l’après, tout en subissant le moment présent et celui de ces très longues deux semaines d’attente avant la date du 14 avril.
- Aussi, la Première Ministre cherche à convaincre Emmanuel MACRON que quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel : elle est la femme de la situation. En engageant des consultations, faisant des efforts pour créer les conditions de l’apaisement avec les syndicats, elle essaie de se montrer loyale et utile au Président de la République pour éviter que ce dernier soit tenté de s’en servir très bientôt comme fusible.
Car si le Président de la République n’a pas encore procédé à un remaniement, c’est parce qu’Emmanuel MACRON attend lui aussi la décision du Conseil Constitutionnel. Si le Conseil Constitutionnel censurait le texte, il pourrait être tenté de demander la démission du Gouvernement et changer de Premier Ministre pour tourner la page. En somme, sa dernière carte.
Emmanuel MACRON joue la montre et se déporte sur d’autres sujets
Du coup, en attendant, Emmanuel MACRON est donc lui aussi contraint de temporiser.
Cette semaine, le Président de la République réalisait son premier déplacement officiel de terrain en province depuis plus de deux mois et demi. Une grande première alors que la figure même d’Emmanuel MACRON est particulièrement contestée depuis plusieurs mois en raison du projet de réforme des retraites.
Le Président de la République s’exprimait ainsi sur la crise de l’eau à laquelle est confrontée la France en ce moment même, et avait choisi pour se faire le Lac de NOM DU LAC, dans les Alpes, afin d’y prendre la parole.
La parole Gouvernementale n’imprime pas
Comme on pouvait s’y attendre : du plan eau, pourtant fondamental par les temps de sécheresse qui courent, et porteur de mesures fortes pour la préservation de cette ressource essentielle, aucune information ne déchainera les foules ni les médias.
A l’issue de la présentation de son plan eau, interrogé par les journalistes, Emmanuel MACRON, joue la carte de la page d’après, et rappelle que les dossiers sont nombreux : comprendre : “circulez, y a rien à voir”.
Emmanuel MACRON essaye donc lui aussi d’exister sur d’autres sujets, mais son actualité est perturbée par la réforme des retraites, qui sans issue légale certaine n’en finit pas de mettre sur pause la vie politique. Au final, personne ne l’attend ni ne l’entend sur d’autres sujets.
En fait, l’exécutif se rend bien compte que sa parole n’imprime pas. Alors, pendant deux semaines, il va donner l’illusion de vouloir passer à autre chose, sans vraiment y passer.
Mais alors, puisque la parole gouvernementale est inaudible, l’exécutif cherche à polariser les opposants
Mais en fait, la stratégie de l’exécutif dans ce moment politique ne se limite à la seule temporisation. Elle est double : temporiser d’une part et polariser d’une autre.
Puisque sa parole est faible et celle de ses opposants forte, sa seule solution consiste à chercher à l’affaiblir. En ce sens, l’exécutif semble pousser à l’extrême la polarisation.
La stratégie est simple : diviser le pays entre d’un côté : les raisonnables, les partisans de l’ordre et les républicains, respectueux des institutions démocratiques ; et puis de l’autre, les factieux, les casseurs, les opposants systématiques, ceux qui s’opposent par principe et refusent le dialogue.
Polariser les forces politiques
En premier lieu, l’exécutif cherche à polariser les forces politiques. En organisant des rencontres avec les dirigeants des partis à Matignon, Elisabeth BORNE pose la question : “qui est suffisamment raisonnable pour venir exposer ses revendications, ses opinions sur les sujets politiques du moment ?”
Le camp des raisonnables acceptera de s’y rendre, sans pour autant se compromettre. Les opposants systématiques refuseront catégoriquement de venir.
Polariser les syndicats
Mais le Gouvernement n’est pas dupe. Politiquement, il semble difficile de trouver une faille dans laquelle s’insérer pour affaiblir l’opposition à la réforme des retraites. Les oppositions font bloc sur le sujet de l’extrême gauche à l’extrême droite.
Mais parmi les syndicats, un horizon nouveau s’est dégagé cette semaine.
D’abord, au travers la réitération de la proposition de médiation par Laurent BERGER. Le patron de la CFDT a appelé à de multiples fois à une médiation autour du projet de la réforme des retraites. Il a notamment réclamé une pause dans le processus afin de pouvoir rediscuter des sujets essentiels comme la pénibilité du travail, l’emploi des séniors, …
Si officiellement, le Gouvernement ne souhaite pas rouvrir de discussions sur la réforme des retraites et donc rejette la proposition de médiation de la CFDT, cette pause pourrait constituer une issue stratégique au conflit. Car dans l’intersyndicale, la CGT est formellement opposée à l’idée d’une médiation, sa nouvelle Secrétaire Générale, Sophie BINET, qui remplace Philippe MARTINEZ à la tête du syndicat, s’est dit formellement opposée à une médiation, considérant que la seule option qui tienne soit le retrait.
S’il acceptait d’avoir recours à une médiation, le Gouvernement assouplirait le positionnement de la CFDT et romprait l’union syndicale en générant un premier divorce entre CFDT et CGT. D’autant plus qu’il est entièrement gagnant : la médiation ne l’engagerait à rien mais lui permettrait de gagner du temps, de faire gage d’ouverture, voire même de ramener la promulgation du texte à l’été et donc de diviser durablement les syndicats, ce qui affaiblirait logique ainsi la contestation.
Polariser les Français
Enfin, la dernière cible de cette stratégie de polarisation : ce sont les Français eux-mêmes.
L’exécutif mise sur cette ligne depuis l’interview d’Emmanuel MACRON, et l’enlisement des manifestations : calmer l’engouement pour la contestation en l’associant à l’extrême gauche, aux casseurs et aux violents. Emmanuel MACRON avait parlé de “factieux” dans son interview. Ce dimanche, Gérald DARMANIN a remis les pieds dans le plat, notamment après les mises en causes répétées de la police après la gestion contestée des manifestations et des multiples débordements de Sainte-Soaline. Il promet la fin des ZAD et la condamnation de ceux qui visent les policiers : il pointe du doigt l’extrême gauche comme source de la violence.
Sur ce point, le Gouvernement garde donc son cap : en cherchant à incarner le camp de la raison, celui de l’ordre et du respect des institutions il stigmatise la violence des manifestations, pourtant marginale pour décourager les Français modérés de continuer à défiler dans le mouvement.
L’exécutif fait ainsi le pari que les opposants à la réforme des retraites sont très nombreux, mais que parmi eux, une très grande partie refuse de mener ce combat par la violence.
D’ici au 14 avril, date de la décision tant attendue du Conseil Constitutionnel, l’action Gouvernementale est en suspens. Le maitre mot : donner l’illusion de se projeter, mais en réalité : temporiser le plus longtemps possible, et en parallèle, chercher à éloigner les Français de la contestation en la faisant apparaitre comme radicale.